COMMISSION DES NORMES COMPTABLES
Avis CNC 2012/8 – Le traitement comptable d’un apport en propriété dans une société civile de droit commun belge n’ayant pas adopté la forme juridique d’une société commerciale
Avis du 6 juin 2012
Introduction
La Commission a été saisie de la question de savoir comment une entreprise, qui réalise un apport dans une société civile de droit commun, doit enregistrer cet apport dans sa comptabilité et dans ses comptes annuels.
Cet avis traite des apports qui consistent en un apport en propriété dans une société civile de droit commun belge1 n’ayant pas adopté la forme juridique d’une société commerciale. Après avoir répondu à la question de savoir si on peut parler de réalisation, une attention particulière sera prêtée au traitement comptable.
Apport dans une société civile de droit commun belge n’ayant pas adopté la forme juridique d’une société commerciale
La société civile de droit commun est régie par les dispositions du Code des sociétés (ci-après : C.Soc.) et par ses statuts.
Etant donné qu’une société civile de droit commun n’a pas de personnalité juridique et qu’elle n’a dès lors pas de patrimoine distinct2 , les biens apportés3 ne deviennent pas la propriété de la société civile de droit commun. Les biens apportés deviennent en revanche la copropriété des associés différents4 . Une personne juridique qui apporte un bien (en propriété) dans une société civile de droit commun, reste dès lors le propriétaire de sa quote-part indivise, sauf disposition contraire dans la convention de société civile de droit commun5 .
Dans son avis 157/2 – Principe de réalisation (hors le cas de fusion), la Commission des Normes Comptables définit le principe de réalisation en cas d’apport dans une société dotée de la personnalité juridique. De l’avis de la Commission, nul ne conteste qu'en cas d'apport, il y a réalisation du bien en cause. Celui-ci quitte en effet le patrimoine de l'apporteur pour entrer dans le patrimoine de la société bénéficiaire de l'apport, tandis que l'apporteur reçoit généralement un élément d'actif de nature entièrement différente de celle du bien apporté.6
Selon la doctrine, la question de savoir si une réalisation a lieu ou non est plus difficile à trancher dans le cadre d’un apport dans une indivision étant donné que chaque participant acquiert des droits de propriété indivis sur tous les biens de l’indivision. En outre, si un participant apporte des biens mobiliers, tandis qu’un autre participant apporte des biens immobiliers, chacun des participants possèdera, à l’issue de l’apport, des droits indivis, tant dans les biens immobiliers que dans les biens mobiliers.7
Ceci implique, de l’avis de la Commission, qu’il y a bien transfert de propriété et, par conséquent, réalisation : si chaque partie apporte un bien d’une valeur équivalente, le seul participant qui apporte un bien immobilier dans une indivision dans laquelle il se trouve, par exemple, avec deux autres participants :
- gardera une part proportionnelle (1/3) dans le droit de propriété sur le bien qu’il a apporté ;
- acquerra, en échange de l’abandon de 2/3 de son droit de propriété sur le bien immobilier, la propriété indivise dans les biens mobiliers qui ont été apportés par les autres participants et, le cas échéant, réalisera une plus-value sur ce 2/3 dont la propriété est cédée8 .
Traitement comptable : l’intégration proportionnelle conformément à l’avis CNC 3/3 relatif aux sociétés momentanées
Etant donné que, tout comme une société momentanée et une société interne, une société civile de droit commun n’a pas de personnalité juridique et qu’elle n’a dès lors pas un patrimoine distinct, la quote-part dans la société civile de droit commun ne peut pas, de l’avis de la Commission, être comptabilisée parmi les immobilisations financières9 dans le bilan de la personne juridique apporteuse.
Le traitement comptable d’un apport dans une société civile de droit commun doit, de l’avis de la Commission, également être fondé sur les principes énoncés dans l’avis relatif au traitement comptable des opérations menées dans le cadre des sociétés momentanées10 . Les opérations de sociétés momentanées intégrées sont par préférence traitées selon la méthode d’intégration proportionnelle. Selon cette méthode, chaque rubrique du bilan et du compte de résultats est intégrée en proportion de la quote-part détenue par le partenaire concerné dans la société momentanée en question. Il est ensuite procédé aux éliminations et corrections nécessaires11 . De l’avis de la Commission, il faut procéder de la même façon dans le cas d’un apport dans une société civile de droit commun. Ainsi, le bilan de la société apporteuse présentera cette dernière comme le titulaire de sa quote-part dans l’actif et le passif de la société civile de droit commun (et non comme copropriétaire de l’ensemble en indivision)12 .
Dès lors que le contrôle relatif aux actifs détenus en indivision ne correspond pas au contrôle relatif aux actifs détenus en pleine propriété, la Commission recommande qu’une distinction soit opérée dans l’annexe du bilan de la société apporteuse, parmi les règles d’évaluation générales, entre les actifs détenus en pleine propriété et les actifs détenus en indivision.
Exemple
Trois associés (les sociétés A, B et C) apportent un total d’actifs de 700.000 euros dans une société civile de droit commun. À la suite de l’apport, ces biens sont détenus en indivision entre les trois associés.
L’article 39 AR C. soc. prévoit que :
« La valeur d'apport correspond à la valeur conventionnelle des apports.En cas d'affectation ou d'apport à une entreprise qui ne constitue pas une société ayant une personnalité juridique distincte, il y a lieu d'entendre par valeur d'apport la valeur attribuée à ces biens lors de leur apport ou de leur affectation. Cette valeur ne peut excéder la valeur de marché à l'achat des biens en cause, au moment où l'apport ou l'affectation a eu lieu. »
La société A apporte un bâtiment d’une valeur comptable de 300.000 euros. Il est convenu que l’apport est réalisé pour une valeur de 400.000 euros.
La société B apporte du matériel roulant d’une valeur comptable de 100.000 euros. Cette valeur comptable correspond à la valeur des biens dans le cadre de l’apport.
La société C apporte un ensemble d’actions d’une valeur comptable de 200.000 euros. Cette valeur comptable correspond à la valeur des biens dans le cadre de l’apport.
Les statuts de la société civile de droit commun prévoient que :
« la quote-part de la société A dans la société civile de droit commun est de 4/7 ;
la quote-part de la société B dans la société civile de droit commun est de 1/7 ;
la quote-part de la société C dans la société civile de droit commun est de 2/7. »
Le total des actifs de la société civile de droit commun s’élève dès lors à 700 000 euros :
- bâtiment d’une valeur d’apport de 400.000 euros ;
- matériel roulant d’une valeur d’apport de 100.000 euros ;
- ensemble d’actions d’une valeur d’apport de 200.000 euros.
À la suite de l’apport dans la société civile de droit commun, les montants suivants seront repris dans le bilan de la société A.
Bilan société A (part dans la société civile de droit commun : 4/7) | |||
---|---|---|---|
Terrains et bâtiments | 228.571,43 | ||
Mobilier et matériel roulant | 57.142,86 | Plus-value de réévaluation13 | 57.142,86 |
Plus-value réalisée | 42.857,14 | ||
Immobilisations financières | 114.285,71 |
Terrains et bâtiments
La société A demeure le propriétaire de sa quote-part indivise, à savoir 4/7 de 400.000 (la valeur réelle de son apport).
4/7 * 400.000 = 228.571,43
Mobilier et matériel roulant
À la suite de son apport, la société A acquiert 4/7 de l’apport de la société B.
4/7 * 100.000 = 57.142,86
Immobilisations financières
À la suite de son apport, la société A acquiert en outre 4/7 de l’apport de la société C.
4/7 * 100.000 = 114.285,71
À la suite de l’apport, la plus-value réalisée de 42.857,14 (3/7 de 100.000) sera exprimée dans le compte de résultats. Cette plus-value réalisée se rapporte à la partie cédée du bâtiment. Une plus-value de réévaluation de 57.142,86 (4/7 de 100.000) peut en outre être actée pour la plus-value latente non réalisée relative à la partie conservée du bâtiment, dans la mesure où il est satisfait aux conditions pour l’enregistrement d’une plus-value de réévaluation14 .
- 1Pour le traitement comptable des participations détenues dans des sociétés de droit étranger, voir l’avis CNC 168-1 « Traitement comptable des participations détenues dans des sociétés de droit étranger, ne disposant pas de tous les attributs de la personnalité juridique », Bull. CNC,n° 31, décembre 1993, 31-33.
- 2Article 2 C.Soc. et article 46 C.Soc.
- 3En vertu de l’article 19, alinéa 2, C.Soc., chaque associé doit apporter dans la société ou de l'argent, ou d'autres biens, ou son industrie.
- 4Les biens apportés dans la société civile de droit commun sont supposés être, en principe, régis par les dispositions applicables à la copropriété de droit commun (art. 577-2 Code civil et suiv.), sauf dispositions spécifiques dérogatoires dans la convention des sociétés ; voir également J. VANOVERBEKE, “De familiale burgerlijke vennootschap – een instrument voor successieplanning”, T.F.R. 2000, 609; E. SPRUYT & H. BERQUIN,Praktijkgids KMO-overdracht 2006, Malines, Wolters Kluwer, 2006, 429 et suiv.; A. HAELTERMAN, Fiscale transparantie Theorie en praktijk in België , Kalmthout, Biblo, 1992, 109-110; T. LAUWERS, “Fiscale aspecten van minder courante vennootschapsvormen”, T.F.R. 2002, n° 231, 1043.
- 5B. SMETS & J.P. VINCKE, De Maatschap, Anvers, Standaard Uitgeverij, 2000, 26-31.
- 6Avis CNC 157/2 – Principe de réalisation (hors le cas de fusion); Bulletin CNC, n° 26, mars 1991, 11-13 : Il y a sous l'angle juridique, comme dans la réalité économique, rupture de continuité propre au concept de réalisation. En ce qui concerne l’apport dans une société avec personnalité juridique, le problème relatif à la réalisation est clair, étant donné qu’en échange des actifs mobiliers ou immobiliers, l’on obtient une participation qui a, par définition, toujours un caractère mobilier et une nature propre ; voir A. HAELTERMAN, Fiscale transparantie Theorie en praktijk in België , Kalmthout, Biblo, 1992, 109-110; T. LAUWERS, “Fiscale aspecten van minder courante vennootschapsvormen”, T.F.R. 2002, n° 231, 1043.
- 7A. HAELTERMAN, Fiscale transparantie Theorie en praktijk in België, Kalmthout, Biblo, 1992, 109-110; T. LAUWERS, “Fiscale aspecten van minder courante vennootschapsvormen”, T.F.R. 2002, n° 231, 1043.
- 8La Commission est d’avis que l’opération d’apport dans une société civile de droit commun peut être considérée sous l’angle de la jurisprudence, selon laquelle une plus-value est réalisée lorsqu’on peut en disposer suite au transfert du bien auquel il se rapporte et qu’il y a réalisation lors de chaque acte juridique par lequel un ou plusieurs actifs quittent le patrimoine et sont remplacés par une contre-valeur, que la plus-value soit réalisée lors d’une vente, lors d’un apport dans une société, lors d’une échange, d’une expropriation, d’une revendication de propriété, de la réception d’un remboursement de l’assurance suite à des dégâts, etc. (Cass. 9 février 1960,Bull. contr. n° 366, 1181 ; Gand, 20 juin 1961,Bull. contr. , n° 384, 425 ; voir également Com. IB, 21/30 et 21/31.)
- 9Pour la description de la rubrique immobilisations financières, voir l’article 95 de l’arrêté d’exécution du Code des sociétés (ci-après : AR C.Soc).
- 10Voir l’avis CNC 3/3 – Avis relatif au traitement comptable des opérations menées dans le cadre des sociétés momentanées, Bulletin CNC, n° 48, mai 2009, 5-52.
- 11Avis CNC 3/3 – Avis relatif au traitement comptable des opérations menées dans le cadre des sociétés momentanées, Bulletin CNC, n° 48, mai 2009, 5-52.
- 12La Commission examinera la possibilité de reprendre dans la Loi comptable que, dans les cas où une entité, soumise à la loi du 17 juillet 1975, s’associe dans le cadre d’une société civile de droit commun, et que cette entité doit donc également reprendre l’apport dans ses comptes, la société civile de droit commun est de facto tenue de tenir une comptabilité autonome.
- 13Conformément à l’article 57 AR C.Soc., la comptabilisation d’une plus-value de réévaluation constitue clairement une option et non une obligation.
- 14Voir l’avis CNC 2011/14 – Plus-values de réévaluation, Bull. CNC, n° 60, janvier 2012, 5-21.